L’écriture inclusive : et si on s’y mettait tou·te·s ?
Quand l’idéologie politique se mêle de langage, il faut se tenir sur ses gardes.
La mode de l’écriture inclusive, qui consiste à ponctuer les noms communs de leur déclinaison féminine (« les libéraux·ales », par exemple), ajouterait un élément comique bienvenu aux dissertations universitaires si elle ne prenait pas le chemin de devenir une politique officielle : un manuel de CE2 inclusif est ainsi promu sur le site du secrétariat d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes.
Quand le pouvoir politique se mêle du langage, il faut se tenir sur ses gardes. D’autant que cette écriture inclusive , loin d’être progressive, trahit un double essentialisme, dans une époque de plus en plus incapable de distinguer le signe et l’être, la représentation et le réel, les mots et les choses.
Une simple convention
Le premier essentialisme est celui de la langue elle-même. Faut-il rappeler que la syntaxe est une simple convention qu’une société vivante ne cesse de réinterpréter et de moduler ?
Le masculin renvoie à tout sauf au mâle. Le meilleur exemple de cette faculté d’abstraction grammaticale, c’est que, en des siècles patriarcaux, les hommes de pouvoir se déclinaient… au féminin !
Ecoutez plutôt Voltaire dans une lettre (flagorneuse) à Frédéric II de Prusse : « Votre Altesse Sérénissime aura peine à trouver des secrétaires qui écrivent aussi bien qu’elle. »
Ou Chateaubriand parlant du pape dans ses « Mémoires d’outre-tombe » : « Pacca fut introduit auprès de Sa Sainteté : elle était debout, immobile, pâle, courbée, amaigrie. »
Ou Alexandre Dumas mettant en scène un courtisan dans « Joseph Balsamo » : « « Sire », dit M. Sartines, « Votre Majesté voudra-t-elle m’accorder un instant ? » »
Autant de déférences à la troisième personne du féminin singulier, plaisamment résumées par Monsieur Jourdain dans « Le Bourgeois gentilhomme » de Molière lorsqu’il exige qu’on lui donne du « Votre Grandeur ». Croit-on vraiment que Louis XIV souffrait dans sa virilité lorsqu’on s’adressait à elle – Sa Majesté ?
Prenons la langue pour ce qu’elle est : un signifiant hasardeux et chatoyant, qu’on ne saurait contraindre.
Il y a au fond du projet de l’écriture inclusive un deuxième essentialisme, encore plus paradoxal : celui du genre.
En ajoutant des ·e· à tout bout de mot, les féministes contemporain·e·s tombent dans le même piège que les nouveaux antiracistes : ils·elles rejettent l’égalité d’individus abstraits pour introduire une différenciation sans fin entre sexes, races et origines diverses. Loin de dépasser le genre, ils·elles l’assignent à chaque profession, à chaque groupe social. Alors que les identités sexuelles deviennent de plus en plus fluides, ils·elles prennent le risque d’exclure de la langue les trans, asexuels et autres pansexuels.
Pour accueillir la diversité, il est plus important que jamais de préserver la neutralité des mots. C’est ce que la langue devrait faire naturellement, si nous avons le courage de résister à une pression morale déplacée dans sa méthode et erronée dans ses principes.
Pour en savoir plus : un petit cours d’initiation >>>>>