La Croissance

Il s’agit d’une notion tellement commune, qu’on l’utilise souvent sans savoir de quoi on parle. La « croissance ». Oui, mais la croissance de quoi ?

La croissance désigne en fait la variation positive de la quantité de biens et services produits et échangés au sein d’une économie. Elle se mesure grâce au Produit Intérieur Brut (PIB), représentant la somme totale de ces biens et services échangés sur une période donnée.

Difficile à mesurer, notamment dans une économie où les services prennent de plus en plus de place, la croissance et son corollaire le PIB ne s’en sont pas moins imposés comme le couple le plus en vue de l’actualité économique de ces dernières décennies.

Tout cela a commencé au XVIIème siècle. L’idée dominante chez les économistes est alors que plus une société produit des biens et des services, plus elle augmente le confort de ses membres. Pour Adam Smith par exemple, la recherche de l’abondance par la production et le travail constitue le moyen de renforcer la cohésion sociale en accroissant les liens interindividuels. Emile Durkheim ne dira pas le contraire un siècle plus tard en reconnaissant à la division du travail un rôle de création de solidarité fonctionnelle : chacun a besoin de l’autre pour produire.

Le XIXème siècle voit augmenter d’un cran cette glorification de la production. Pour Hegel ou Marx, produire et consommer sont bien plus que des moyens d’augmenter la richesse d’une société. Travailler, inventer, produire, cela permet de s’accomplir, de transformer le monde et l’humanité.

Au XXème siècle, avec l’invention de la comptabilité nationale, on va chercher à mesurer tout cela, à estimer le revenu national. C’est dans ce contexte que l’économiste Simon Kuznets réalise en 1934 une première ébauche du PIB. Déjà, pour son inventeur, le PIB est imparfait en ce qu’il ne tient compte que d’une partie des activités et ne dit rien du bien-être. Cela ne va pas empêcher les économistes en charge de réfléchir à la mise en place des comptabilités nationales de travailler sur cette base et d’élaborer des instruments aptes à calculer ce fameux PIB. La suite vous la connaissez. Si l’économie était une religion, croissance et PIB en seraient les dieux.

Cet appétit pour la croissance rappelle pourtant de plus en plus l’attirance de Blanche-Neige pour cette belle pomme qui avait pourtant l’air si sucrée.

A y regarder de plus près, nombreux sont les indices faisant apparaître qu’il s’agit d’une construction, bancale, qu’on nous impose malgré nous comme étant l’unique solution, le remède à tous nos maux. Loin d’être un remède, nous verrons que la croissance possède un côté obscur, dévastateur, tant au niveau social qu’écologique. Pourtant, si l’on enlève les œillères dont nous équipe insidieusement la pensée dominante, de multiples chemins apparaissent à côté de cette autoroute grise qu’on nous présente pourtant comme le seul chemin praticable. Et loin de nous ramener à notre point de départ, ces chemins alternatifs semblent bien contourner l’abîme qui commence à se dessiner, là-bas, à l’horizon, dans lequel va se jeter tout droit ce triste ruban de béton sur lequel nous sommes actuellement.

Tourner le dos à la croissance ? Utopie idéaliste ou affront salutaire ?

La « croissance » : une notion survalorisée aux effets pourtant potentiellement néfastes

La « croissance à tout prix » : un mythe façonné par le discours dominant…

Le champagne a dû couler à flots. Les chiffres de l’INSEE publiés vendredi 14 février (2014), repris en fanfare par le gouvernement, le confirment : la croissance en France est meilleure qu’attendue pour l’année 2013[2]. Soulagement général au sein du monde politico-économico-médiatique.

Pourquoi, de l’avis général, ce retour de la croissance est-il une si bonne nouvelle ? Pourquoi les grands médias, et au-delà, une large part de l’opinion, savourent-ils ces chiffres de l’INSEE avec la délectation qu’on réserve habituellement à une petite sucrerie en fin de repas ? Au-delà, comment la « croissance » est-elle devenue le but ultime de notre société, l’objectif suprême de notre modèle économique ?

Car contrairement à ce qu’avance la pensée dominante, il n’y a rien là de très évident. Comprendre comment la croissance est parvenue à s’ériger au rang de déesse laïque est un préalable nécessaire à celui qui cherche à envisager d’autres chemins.

La croissance, la plus forte possible, constitue donc l’objectif des économies libérales. Elle est porteuse de toutes les vertus car en son sillage se trouvent emploi et prospérité. Cette vision est imposée comme une évidence et rares sont les médias se hasardant à la remettre en question. Et cette évidence s’est glissée partout, jusque dans les foyers. Faites le test, autour de vous, et ne soyez pas surpris si vos interlocuteurs sont de fervents adeptes de cette religion laïque.

Si le modèle néolibéral et sa corollaire la croissance se sont imposés comme l’unique chemin, ce n’est pas du fait de leur faculté à améliorer le bien-être général, ni parce qu’ils constituent un moyen de maintenir des économies stables et prospères, mais parce qu’ils ont bénéficié depuis maintenant des décennies d’un travail d’inculcation insidieux, travail fourni par une élite économico-médiatique à destination des masses.

Pierre Bourdieu déclarait en 1996 lors d’une intervention à la Conférence générale des travailleurs grecs à Athènes : « On entend dire partout, à longueur de journée, – et c’est ce qui fait la force de ce discours dominant -, qu’il n’y a rien à opposer à la vision néolibérale, qu’elle parvient à se présenter comme évidente, comme dépourvue de toute alternative. Si elle a cette sorte de banalité, c’est qu’il y a derrière un travail d’inculcation symbolique auquel participent, passivement, les journalistes ou les simples citoyens et surtout, plus activement, un certain nombre d’intellectuels[3] ».

Comment cela se passe-t-il concrètement ? Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la pensée libérale et les préceptes qui l’accompagnent (croissance maximum, productivité, compétitivité, flexibilité, etc.) sont présentés à travers les différents médias comme allant de soi, à la manière d’une image subliminale qui viendrait imprimer un message dans l’esprit d’un spectateur à son insu.

Ainsi, prenant l’exemple de l’Angleterre, Bourdieu explique-t-il que la politique ultra-libérale de Margaret Thatcher n’est pas née avec elle, mais « avait été préparée depuis longtemps par des groupes d’intellectuels qui avaient pour la plupart des tribunes dans les grands journaux[4] ».

Ce travail, initié dès la fin de la deuxième guerre mondiale, dans un contexte de lutte contre le communisme se poursuit actuellement. Il n’y a qu’à constater l’enthousiasme exacerbé dont fait preuve la presse française au sujet de l’économie allemande et son modèle libéral.

Serge Halimi, dans son ouvrage Les nouveaux chiens de garde[5], vient actualiser les réflexions de Bourdieu. Son livre prend en quelque sorte le relais de l’ouvrage de Paul Nizan, Les chiens de garde, paru en 1932, dont on pourrait citer cet extrait : « La pensée bourgeoise dit toujours au Peuple : ‘‘Croyez-moi sur parole ; ce que je vous annonce est vrai. Tous les penseurs que je nourris ont travaillé pour vous. Vous n’êtes pas en état de repenser toutes leurs difficultés, de repasser par leurs chemins. Mais vous pouvez croire aux résultats de ces hommes désintéressés et purs. De ces hommes qui détiennent à l’écart de ces hommes pour lesquels ils travaillent, les secrets de la vérité et de la justice[6]’’ ». Remplacez « bourgeoise » par « néolibérale » et vous aurez une idée de la thèse défendue par Serge Halimi.

Ces hommes qui « détiennent les secrets de la vérité » sont aujourd’hui omniprésents. Ils hantent les plateaux télés, monopolisent les tribunes de la presse écrite. Ils sont les « experts » invités régulièrement un peu partout pour nous apporter la lumière, leur lumière. Présentés à grands coups de titres universitaires, validant d’emblée l’ensemble de leur propos, ils se croisent de plateau en plateau, inondent nos librairies, avec toujours le même objectif, défendre la pensée libérale. Quiconque souhaiterait acheter l’ensemble de livres publiés par Jacques Attali, ancien président du « Comité pour la libération de la croissance » commandé par Nicolas Sarkozy en 2007, devra, si ce n’est faire un emprunt, du moins posséder beaucoup de place dans sa bibliothèque. Et le travail qui consisterait à lister l’ensemble de ses apparitions télévisées serait sans doute comparable à celui mené par Ludwig von Köchel lorsqu’il a inventorié l’ensemble des œuvres de Mozart. La figure de Jacques Attali nous est de fait connue, familière, et plus inquiétant, son discours, libéral, aussi.

Et Attali n’est qu’un exemple. Ils sont quelques-uns, dans la même veine, à produire en continu via de nombreux médias un discours libéral, depuis maintenant plus de 40 ans. Ils nous chantent « une musique de fond » à laquelle nous sommes habitués à force de l’entendre, et que nous finissons par croire sur parole.

Mais pourquoi les Alain Minc, Nicolas Baverez, Élie Cohen et autres Michel Godet, lesdits « experts », agissent-ils ainsi ? Peut-être est-ce parce qu’ils sont convaincus de défendre le « bon » modèle, celui qui éradiquera la misère et apportera le bien être à tous ?

Un élément de réponse apparaît quand on découvre les fonctions « cachées » de ces experts, celles qui n’apparaissent pas lorsqu’on les présente au journal télévisé. Au-delà de leurs qualités universitaires présentes ou passées, ils sont en effet pour la plupart membre de conseils d’administration de grandes entreprises, collaborent avec des banques, conseillent des fonds spéculatifs. Juges et parties en quelque sorte. Elie Cohen par exemple, présenté en tant que « Directeur de recherche au CNRS », est également administrateur d’Orange, de Steria, du Groupe « Pages jaunes ». Son compère Christian de Boissieu, « professeur à Paris 1 », est ou a été administrateur de la banque Hervet, membre du conseil stratégique du cabinet d’Ernst & Young, membre du conseil de surveillance de la banque Neuflize OBC, conseiller économique du hedgefund HDF Finance, conseiller du Crédit agricole, administrateur du fonds d’investissement Pan Holding, etc. Pour le téléspectateur lambda, il est simplement « professeur à Paris 1, qui doit avoir raison au vu de son titre universitaire ».

En résumé, ces experts ne défendent pas le modèle qu’ils croient positif pour le bien-être général, mais le monde auquel ils appartiennent, les entreprises grâce auxquelles ils s’enrichissent. Ils monopolisent l’espace médiatique, au détriment des intellectuels ou politiques ne partageant pas ces points de vue. Quelques chiffres explicitent ce constat : entre 2002 et 2007, les économistes Frédéric Lordon et Jean Gadrey, au point de vue disons « divergent », ont été invités 32 fois à eux deux à la radio et à la télévision. Sur la même période, Jacques Attali totalise 572 passages[7].

Voilà pourquoi il y a neuf chances sur dix que lors de votre prochain repas de famille votre voisin de table soit persuadé que la logique libérale est la seule envisageable, et qu’il est évident qu’il faille toujours plus de croissance si l’on veut sortir du marasme. Cependant, nous l’avons vu, ce n’est pas parce que cette logique est à même d’apporter prospérité et stabilité qu’elle est tant vantée, mais bien parce qu’elle sert les intérêts d’un petit groupe de personnes, une oligarchie qui dispose de toute la place qu’elle veut dans le paysage médiatique, et donc de l’oreille du public.

Chaque médaille a son revers. Et à y regarder de plus près, derrière l’éclat des préceptes néo-libéraux, notamment la course à la croissance, semble se dresser une réalité bien plus obscure. Et si la croissance n’était pas cet ange salvateur qu’on nous vante pourtant ?

… Présentant pourtant tous les caractères d’un mirage

On n’en parle pas, ou peu, mais la croissance a ses revers, ses conséquences néfastes. Loin d’engendrer uniquement emploi et prospérité, elle peut laisser dans son sillage une empreinte noire, marquée par la destruction des ressources naturelles d’une part, la création d’inégalités d’autre part.

 Croissance et environnement : l’impossible équation

Croissance et environnement ne font pas bon ménage. A la fin des années 60 déjà, le Club de Rome, fondé par l’italien Aurelio Peccei, tirait la sonnette d’alarme sur les conséquences néfastes de la recherche de la croissance à tout prix. Le rapport rédigé par les chercheurs du Club, The limits to growth[8], devenu un best-seller mondial, évoque pour la première fois les dangers écologiques de la croissance économique et démographique que connaissent les économies libérales à cette époque.

Il met en garde sur les limites physiques de la croissance, qui seront bientôt atteintes, et sur la nécessité d’équilibrer croissance économique et démographique avec les ressources disponibles. Pour cela, il faut abandonner les politiques à court terme, et oser engager des actions qui ne porteront leurs fruits que dans 50 à 100 ans.

Lors de la présentation du rapport en 1972 à Washington, Dennis Meadows déclarait : « chaque année perdue dans la mise en œuvre d’une nouvelle politique rendra la transition nécessaire beaucoup plus difficile et diminuera nos chances de la réaliser[9]. »

Mais l’électeur, l’industriel, et donc le politique sont « court-termistes », et rien ne fût entrepris. Le changement appelé par le Club de Rome ne vint pas, et les questions posées par Dennis Meadows et ses collègues restent malheureusement plus que jamais d’actualité.

Une équation simple permet de poser une partie du problème. Croissance rime avec production, production rime avec énergie, et malheureusement, aujourd’hui, énergie rime avec pétrole et charbon. Comment serait-il possible de produire toujours plus lorsqu’on utilise des ressources non renouvelables de moins en moins disponibles ? D’aucuns répondront qu’il n’y a pas de soucis à se faire, car bientôt « ils » vont trouver une solution pour remplacer les énergies fossiles. En attendant, le charbon reste l’énergie de l’avenir, tandis qu’on s’évertue à exploiter les dernières gouttes de pétrole, sous forme de sable bitumineux ou de gaz de schiste, à des couts environnementaux et sociaux de plus en plus importants.

Imaginez-vous dans une voiture lancée à pleine vitesse. A quelques centaines de mètres se dresse un mur. Diriez-vous à vos passagers « il n’y a aucun souci à se faire, quelqu’un ou quelque chose va bien arriver sous peu pour nous sortir de cette situation quelque peu délicate », ou alors chercheriez-vous à faire changer la direction de la voiture afin d’éviter l’obstacle ? La question peut paraître stupide, pourtant, actuellement, nous choisissons la première solution.

La production et la croissance des pays du Nord coûtent cher. Elles se paient au prix de milliers d’hectares de forêt boréale canadienne saccagée pour l’exploitation des sables bitumineux, au prix de la vie des 30 millions d’habitants du delta du Niger[10], au prix des innombrables nappes phréatiques polluées par le procédé de fracturation hydraulique utilisé pour l’exploitation des gaz de schiste. Par-dessus tout, les bouleversements climatiques induits en grande partie par les émissions carbone liées à l’activité industrielle mondiale, moteur de la croissance, sont en train d’impacter durablement l’ensemble des écosystèmes et le climat de la planète avec les conséquences que l’on connaît.

Ce qui marchait hier ne peut plus fonctionner aujourd’hui : « La croissance des Trente Glorieuses s’est faite à crédit, basée sur des ressources non renouvelables comme le charbon et le pétrole. Quand des milliards d’êtres humains supplémentaires se lancent à leur tour dans la course au développement, la Terre s’emballe, le prix des matières premières s’envole, les terres agricoles se font rares et les dégradations de l’environnement s’amplifient, parfois irrémédiablement[11] ».

Car l’incompatibilité entre la croissance telle que nous la concevons actuellement et la conservation de notre environnement ne se cantonne pas aux problèmes liés à l’exploitation ou l’utilisation des énergies fossiles. De tous les côtés, sous la pression des modèles capitalistes productivistes cherchant encore et toujours la croissance, les indicateurs sur l’état de conservation des ressources naturelles virent au rouge.

Sous la pression de l’élevage industriel en Amazonie, de la culture des palmiers à huile et de l’exploitation du bois pour la fabrication de pâte à papier en Indonésie, les forêts du monde reculent. Selon l’Organisation Mondiale pour l’agriculture et l’alimentation (FAO)[12], 300 millions d’hectares de forêt primaire sont partis en fumée depuis 1990, soit l’équivalent de la surface de l’Argentine. D’après le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE), près de la moitié de forêt de Sumatra, en Indonésie, a disparu entre 1985 et 2007[13]. La course à la production ne serait-elle pas en train de nous attirer vers les écueils qu’aurait connus l’île de Pâques, dépeuplée à partir du XVIIème siècle à cause d’une déforestation massive ?

On pourrait allonger sans fin la liste des ressources naturelles mises en péril à l’échelle mondiale du fait de l’activité économique. De la surexploitation de quasiment tous les stocks de poissons aux pollutions liées à l’agriculture conventionnelle (rejets de nitrates issus des déjections animales, de phosphore issus des engrais), en passant par la monopolisation des ressources d’eau douce par l’agriculture en Afrique et en Asie[14], etc. tout semble indiquer que le modèle que nous suivons est trop impactant pour être viable à long terme. C’est en substance ce qu’annonçait en 1974 le philosophe André Gorz : « Il n’y a pas assez de ressources minérales, ni même d’air, d’eau et de terres, pour que le monde entier puisse adopter ‘‘notre’’ façon ravageuse de produire et de consommer[15]. »

Tout devient rare. Les terres sont monopolisées pour la production de viande à destinations des pays industrialisés, au détriment des productions agricoles locales et des forêts essentielles à l’alimentation de milliards d’êtres humains. Le cuivre, l’or, l’argent, le zinc, les terres rares, l’uranium ne pourront pas indéfiniment être extraits en quantité toujours croissante, à l’image des ressources fossiles.

Croissance et environnement ne font pas bon ménage. Le problème est que nous sommes entièrement dépendants de notre environnement, dès lors, chaque point de croissance « gagné » dans quelque Etat du monde revient à un coup de scie supplémentaire porté à la branche sur laquelle nous sommes assis. Peuvent en témoigner les 1,6 milliards de personnes, soit une personne sur cinq, à l’échelle de la planète, dont la survie dépend des forêts.

 Les laissés-pour-compte de la croissance

Et l’homme dans tout ça ? Car la croissance ne se révèle pas seulement une dangereuse prédatrice des ressources naturelles ; sa faux possède aussi un tranchant destiné au domaine social.

On entend dire allègrement que la croissance constitue le seul moyen de lutter contre la pauvreté. Si effectivement, comme ça a été le cas en Chine par exemple, une économie affichant une croissance élevée est plus à même de faire sortir de la pauvreté une part importante de la population, il apparaît qu’au-delà du taux même de croissance, un autre indicateur est primordial : celui du niveau de redistribution des richesses produites. La taille du gâteau n’est pas tout, il reste à voir comment on le découpe.

Au début du XXèmesiècle, en France et aux Etats-Unis, le 1 % le plus riche de la population captait entre 15 % et 20 % du revenu total du pays[16]. Ces inégalités vont être aplanies suite aux deux guerres mondiales et aux politiques fiscales ambitieuses mises en place par Roosevelt notamment en ce qui concerne les Etats-Unis. Puis, soufflé par les Thatcher et autres Reagan, un vent libéral s’abat sur certains pays d’Europe et les Etats-Unis. Les impôts pesant sur les plus hauts revenus s’abaissent. Vingt ans plus tard, le 1 % le plus riche des Américains capte à nouveau autant de richesses qu’en 1915. Cela veut dire concrètement que la croissance ne profite pas à tous au même niveau, les plus riches en captant l’essentiel des fruits.

Plus grave, certaines parts de la population peuvent voir leurs revenus décroître, malgré une économie en croissance. Citons l’Allemagne par exemple, ce modèle vers lequel il faudrait tendre à en croire la pensée dominante. L’Allemagne et sa croissance moyenne bien supérieure à la nôtre. Depuis 1996, le dixième des salariés les moins bien payés n’a cessé de voir son salaire réel (soit le salaire une fois l’inflation déduite) reculer : en 2009, il était à un niveau inférieur de 20 % à ce qu’il était en 1996. Dans le même temps, les 20 % des salariés les mieux payés ont vu leur salaire réel progresser de plus de 5 %[17].

Quittons l’Europe et rejoignons l’Inde, et sa croissance (il est vrai en ralentissement), atteignant 5 % en moyenne depuis 1991. Malgré ce chiffre plutôt flatteur, 356 millions d’Indiens, soit près d’un tiers de la population, vivaient sous le seuil de pauvreté en 2010[18]. Pourquoi ?

Il s’avère que la croissance économique seule ne suffit pas à faire reculer massivement la pauvreté. L’Etat a son rôle à jouer, au niveau de la redistribution notamment, de la création et mise en œuvre de systèmes de santé, de retraite, etc. En Inde, les recettes fiscales captent seulement 10,4 % du Produit intérieur brut, ce qui n’est pas suffisant pour permette au gouvernement de mener une politique sociale efficace. Les dépenses publiques de santé, par exemple, sont négligeables et constituent 1,2 % du PIB. « Avec six docteurs et neuf lits d’hôpitaux pour 10 000 habitants, l’Inde a la mortalité infantile la plus élevée au monde et une terrible mortalité maternelle : 200 décès de mères pour 100 000 naissances. Les fonds alloués à l’éducation n’épousent pas davantage la courbe de la croissance. Pire, ils déclinent, passant de 4,26 % du PIB en 2000 à 3,1 % en 2012. Or, près d’un tiers de la population reste analphabète[19] ». L’inde constitue peut-être l’exemple le plus flagrant que la croissance seule, même importante, ne constitue en rien un gage de prospérité et de bien-être de la population.

« Il n’y a pas de lien évident entre la croissance et la répartition de ses fruits au sein d’une société », déclare Camille Landais, chercheur au Stanford Institute for Economic Policy Research[20]. Voilà qui met à mal bien des idées reçues sur notre ange salvateur.

Une idée imposée par la pensée dominante non fondée sur des considérations liées au bien-être général, des conséquences dévastatrices sur l’environnement mondial, un manque cruel d’égalité dans la répartition de ses fruits. Et si, pour paraphraser le film « L’an 01[21] », au lieu d’un pas en avant, nous faisions un pas de côté ? Tournions la tête dans une autre direction ? Ne découvririons-nous pas qu’à côté de l’autoroute « croissance » se dessinent une multitude d’autre chemins encore trop peu explorés ?

 Tourner la page de la croissance telle que nous la connaissons

Nous l’avons vu, la croissance telle qu’elle est conçue et recherchée actuellement, ainsi portée sur les flots d’un courant néolibéral, ne semble pas en mesure de nous conduire durablement vers le bien-être. Mais après tout, peut-être ce modèle est-il le moins pire ? L’équivalent économique de la démocratie, « le pire des régimes à l’exception de tous les autres » selon la fameuse phrase de Winston Churchill ?

Pas si sûr. Il semble bien que les alternatives soient là, à portée de mains.

Changements d’indicateurs, mise en œuvre de nouveaux types d’économies, les diverses alternatives envisageables

La fondamentale question des indicateurs

Regarder dans une autre direction, oui, mais laquelle ? A la base, tout est question d’indicateurs. Ils fixent la direction vers laquelle tendre. Changer d’indicateur, c’est changer d’objectif. Il semble aujourd’hui primordial de faire descendre le PIB de son piédestal.

Nos sociétés productivistes droguées à la croissance n’ont d’yeux que pour les évolutions du PIB, indicateur dominant du débat économique. Lui seul actuellement reflète la santé d’une économie d’un pays.

Le PIB correspond à une certaine vision de la « richesse » d’une nation : une vision quantitative, axée uniquement sur la quantité de biens et services échangés sur une année. Quatre limites du PIB en tant qu’indicateur sont couramment invoquées.

En premier lieu, cet indicateur met l’accent sur la quantité, non sur la qualité. Jean Gadrey fait remarquer qu’aux yeux du PIB, un kilo de fraises bio vaut la même chose qu’un kilo de fraises qui a parcouru des milliers de kilomètres en avion, qui contient des pesticides, et qui a été élevé dans des conditions de travail indignes[22]. Le PIB est ainsi incapable d’intégrer des notions de qualité, de durabilité environnementale.

Ensuite, le PIB est un tiroir dans lequel on fait entrer certaines choses, et duquel on en exclut d’autres. N’entrent pas en compte dans son calcul les travaux domestiques, l’éducation des enfants par les parents au foyer, le bénévolat réalisé dans les associations, les activités politiques et citoyennes, etc., soit tout un pan de nos activités quotidiennes, vitales au fonctionnement de notre société.

Troisième point, le PIB n’a cure de la répartition de ce qu’il mesure, ne tient pas compte des inégalités au niveau de la production et de la distribution des richesses. Que la production soit réalisée par une grande ou une petite partie de la population ne l’affecte pas. Qu’un seul acteur économique produise « 100 », et que 99 autres ne produisent rien revient au même, pour le PIB, que 100 acteurs produisent chacun « 1 ». De la même manière, que les richesses produites soient partagées entre tous ou accaparées par une minorité, aux yeux du PIB, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Seule compte la taille du gâteau, peu importe qui le mange.

Enfin, le PIB ne connaît pas de « moins », il ne tient pas compte des ressources prélevées nécessaires à la production. Si l’on doit abattre une forêt pour produire « 100 », seul ce chiffre de « 100 » sera retenu pour le calcul du PIB. Pire, le PIB se nourrit des impacts sociaux et environnementaux. Qu’une rivière ou une plage soit polluée par des rejets liées aux activités agricoles, si l’on engage des frais pour dépolluer, cela fera grimper le PIB.

Le PIB seul n’est pas un indicateur apte à renseigner sur le bien-être d’une population, d’un pays. Mais alors, par quoi le compléter, voire le remplacer ?

Il existe de nombreux indicateurs alternatifs, développés ces dernières années. Plutôt que de les lister tous, il convient avant tout de poser les bonnes questions : qu’est-ce que la « richesse » ? qu’est ce qui compte vraiment dans sa mesure, qui peut en décider et comment le mesurer ? La réflexion débute à peine, mais quelques pistes de réponse ont déjà été avancées[23].

Qu’est ce qui compte ? Faire entrer dans la balance tout ce qui permet à une société de s’inscrire dans la durée : patrimoine naturel et cohésion sociale devraient avoir leur place. Pour le patrimoine naturel, mesurer les « services rendus par les écosystèmes » est une piste suivie par certains économistes, attribuant il est vrai une vision utilitariste à notre environnement, ce qui peut ne pas faire consensus. Une autre option serait de mesurer la qualité et la quantité des éléments composant ce patrimoine (nombre d’hectares de forêt, qualité des eaux, etc.). Le débat reste ouvert.

Sur l’aspect social, l’Indice de Santé Sociale (ISS) créé en France par le Réseau Associatif d’Alerte sur les Inégalités constitue une piste intéressante. Il regroupe 14 indicateurs et tient compte de différents aspects relatifs au travail, au revenu, à l’éducation, à la santé, au logement, à la sécurité ou encore au lien social et interindividuel. A titre d’exemple, en France, si l’on se base sur le PIB par habitant, il vaut mieux vivre en Ile de France ; c’est là qu’il est le plus élevé. Lorsqu’on regarde la même situation à travers le prisme de l’ISS, le Limousin l’emporte haut la main, l’Ile de France n’arrivant qu’en 17ème position sur les 22 régions métropolitaines[24].

Qui serait apte à décider de ce qui compte et de ce qui ne compte pas ? Là encore quelques idées ont été avancées. Celle du collectif FAIR[25], « Forum pour d’autres indicateurs de richesse », est d’impliquer les citoyens. Les nouveaux indicateurs de richesse ne devraient pas être uniquement affaire de spécialistes, mais résulter de réflexions collectives impliquant citoyens et experts, sociologues, climatologues, biologistes, économistes, etc.

Enfin, comment mettre en œuvre une mesure impliquant des critères sociaux, environnementaux, économiques, etc. ? Le PIB est en ce sens pratique en ce qu’il mesure des choses reposant sur une unité de mesure commune (le prix, l’argent). Dès lors on peut additionner le prix des biens et des services entre eux et parvenir facilement à déterminer un niveau de PIB. C’est plus délicat lorsqu’il s’agit de rendre compte des évolutions du patrimoine naturel ou du climat social. Diverses solutions seraient envisageables, visant par exemple à ramener divers indicateurs sociaux, environnementaux, économiques à une même mesure (par exemple en leur attribuant un nombre de « points ») et à pondérer l’importance de chacun d’entre eux. L’indicateur dit de « l’Epargne nette ajustée » développée par la Banque mondiale est à ce titre intéressant en ce qu’il ne raisonne pas en termes de flux, mais de capital[26]. Il prend en compte l’épargne totale d’une Nation, y ajoute les dépenses d’éducation, en retire les dégradations du capital naturel, etc. Il cherche ainsi à prendre en compte les capitaux humains, sociaux, environnementaux, etc.

Si cette approche comporte encore bien des biais (quelle « valeur » attribuer à un actif environnemental, un hectare de forêt par exemple ? Est-ce pertinent de pouvoir compenser l’érosion du capital environnemental par des gains au niveau du capital social ?), elle a le mérite d’exister, et montre que des réflexions sont en marche à grande échelle.

Les questions sont encore nombreuses, la transition débute à peine : « Le choix de nouveaux indicateurs, au terme de délibérations publiques dont nous avons plus que jamais besoin, est désormais urgent. C’est le premier pas vers l’abandon de l’obsession de la croissance et sur ‘‘les chemins de la transition19’’ ».

 Vers d’autres économies

Changer d’indicateur et donc d’objectif est essentiel en préalable à toute démarche visant à s’extraire de l’emprise néfaste de la croissance. Mais ensuite ? Quel modèle adopter ?

L’économie actuelle est dite « linéaire » : on extrait des matières premières, on fabrique des produits qui sont vendus aux consommateurs, qui les jettent au bout d’un certain temps. Pour les raisons évoquées plus haut (épuisement des matières premières, pollution, etc.), ce schéma n’est pas viable et ne saurait fonctionner encore longtemps. A cela il existe une solution, l’économie dite « circulaire », visant à optimiser et réutiliser tout au long de la chaîne de production et de consommation les ressources matérielles et énergétiques, sur le modèle de « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme  ».

Cela peut consister par exemple à mobiliser plusieurs acteurs d’un même territoire, en créant une synergie, afin par exemple que les déchets ou rejets de l’un servent de matière première à l’autre.

Au sein du port danois de Kalundborg, la plus grande centrale électrique du pays vend de la vapeur à la raffinerie de pétrole voisine, laquelle en retour lui vend ses eaux usées à des fins de refroidissement. La centrale fournit également de la vapeur à la municipalité pour alimenter son réseau de chauffage urbain ainsi qu’à d’autres entreprises voisines qui en ont besoin. Ce type de fonctionnement génère moins de croissance que si chacun devait se débrouiller tout seul pour trouver sa vapeur, son eau de refroidissement, etc. Cela dit, c’est la collectivité qui y gagne.

Produire autrement est une chose, consommer autrement en est une autre, les deux devant aller de pair.

C’est là qu’intervient l’économie de « fonctionnalité », conceptualisée par Walter Stahel au milieu des années 90. Il s’agit de développer non plus « l’achat » des biens, mais leur utilisation dans le cadre d’une prestation de service. En d’autres termes, l’entreprises ne vend plus ses produits, mais les met à disposition de l’utilisateur pour les reprendre en fin de vie. La firme Xerox effectue 75 % de son chiffre d’affaire de cette façon. Elle met à disposition des entreprises des photocopieurs, puis les récupère lorsqu’ils ne fonctionnent plus. Cela contribue à allonger la durée de vie des produits en luttant contre l’obsolescence programmée et favorise le recyclage. Xerox a ainsi simplifié les composants de ses appareils, afin de pouvoir les réutiliser plus facilement. Là encore, ce n’est pas bon pour la croissance. Jeter son imprimante pour en racheter une neuve tous les deux ans serait préférable aux yeux de notre indicateur favori. Mais l’utilisateur et le citoyen ont tout à y gagner.

Multiples sont les initiatives allant dans cette direction. Un dernier chiffre pour convaincre de l’intérêt du réemploi : la société anglaise Mazuma mobile propose un service de vente de téléphones portables reconditionnés. Ça n’a l’air de rien. Cependant, d’après une étude menée par la fondation britannique Ellen Mac Arthur, si la moitié des téléphones portables utilisés en Europe était collectée pour être réutilisée ou reconditionnée, 1 milliard de dollars de matières premières et 60 millions de dollars d’énergie seraient économisés chaque année[27].

Encore trop petites pour remettre en cause la course globale à la consommation, ces idées et initiatives ne répondant pas à une logique de « croissance » prouvent que faire autrement est possible, sans « revenir à la bougie » comme se plaisent à le répéter les détracteurs de ces idées nouvelles, desquels fait sûrement partie votre voisin de table de tout à l’heure.

Vers une prospérité sans croissance

C’est l’argument principal des pro-croissance et autres téléspectateurs passifs des émissions politico-économiques télévisées : sans croissance il n’y a que le chaos, le chômage, la pauvreté. On pourrait leur demander leur avis sur la situation sociale indienne malgré une croissance plus de trente fois supérieure à la nôtre sur ces dernières années, mais ce serait un peu facile, la réponse mérite d’être davantage creusée.

Il convient de présenter tout d’abord le point de vue des tenants d’une « croissance verte », car il s’agit là d’une solution alternative à la conception que nous avons de la croissance, basée sur un modèle capitaliste productiviste.

Selon l’OCDE, « la croissance verte consiste à favoriser la croissance économique et le développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être. Pour ce faire, elle doit catalyser l’investissement et l’innovation qui étaieront une croissance durable et créeront de nouvelles opportunités économiques[28]. » Il s’agit par exemple de verdir les investissements en orientant les fonds vers des projets « durables » et respectueux de l’environnement, de rechercher d’autres sources énergétiques en privilégiant les énergies renouvelables, etc. La logique reste bien celle de croissance, de développement économique. Mais « vert ».

Cette démarche est cependant mise à mal par certains économistes et écologistes. Pour Tim Jackson, auteur de la « Prospérité sans croissance[29] », c’est une erreur que de chercher à maintenir notre modèle de développement actuel au prétexte que nous parvenons à augmenter notre efficacité de production, et donc à prélever moins de ressources naturelles et consommer moins d’énergie. Il constate que ces dernières années, nous avons effectivement diminué la quantité de ressources utilisée par unité produite, mais la production allant en augmentant, les quantités absolues de ressources consommées croissent[30].

Hervé Kempf, journaliste au Monde et auteur de « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme[31] », le rejoint sur ce point. La logique actuelle, visant un « toujours plus », ne mène nulle part. C’est cette logique productiviste même qu’il faut changer et non les procédés et technologies utilisés. En résumé, construire des éoliennes n’est pas une solution dans la mesure où l’on ne cherche pas à réduire notre consommation d’électricité.

Est-il alors possible de tourner franchement le dos à la croissance tout en maintenant voire améliorant notre qualité de vie ?

C’est l’avis de Jean Gadrey, professeur émérite à Lille 1. Au toujours plus, il préfère le toujours mieux, et cela change tout[32].

Il récuse tout d’abord l’idée selon laquelle la croissance est indispensable pour résorber le chômage. Ce qui manque aujourd’hui, ce sont les ressources naturelles, alors que le travail humain, lui, et surabondant. Beaucoup de travailleurs sur un marché où les ressources se font rares, où l’on n’arrive plus à produire à des coûts raisonnables du fait de la rareté des matières premières, voilà qui créé du chômage.

A contrario, la transition écologique est créatrice d’emplois. Sans entrer dans les détails, le scénario élaboré par l’association NégaWatt, qui vise à éviter 65 % de la demande d’énergie en France d’ici 2050 grâce à la sobriété et l’efficacité énergétiques, table sur la création de 700 000 emplois dans les 20 ans à venir[33]. Remplacer l’agriculture conventionnelle, gourmande en chimie, par une agriculture biologique de proximité nécessiterait 30 % à 40 % d’emplois supplémentaires dans ce secteur29.

Loin d’être une stagnation ou un retour en arrière, abandonner la croissance nous permettrait de nous propulser en avant. Remplacer le nucléaire ou le charbon par des énergies renouvelables, effectuer la rénovation thermique de millions de logements, réorienter l’agriculture vers des méthodes agro-écologiques, mettre en œuvre à grande échelle des politiques de sobriété, etc., voilà un vaste programme qui n’a absolument rien d’un retour en arrière.

Abandonner la croissance permettrait de vivre mieux, de manger mieux, de respirer mieux. Et ce dernier point n’a rien d’une métaphore, en témoignent les nuages de pollution issus de l’activité industrielle envahissant certaines mégalopoles chinoises, voire même des temps à autres les grandes villes françaises.

La logique productiviste qui nous est imposée malgré nous ne conduit nulle part, ses effets négatifs se font déjà sentir, au niveau social comme environnemental. Peu nombreux sont ceux qui mettent encore en doute la réalité du changement climatique, accéléré par les émissions liées à l’industrie, aux transports, à l’élevage industriel. « Il faut croire ce que nous savons » déclare Yann Arthus Bertrand au sujet du changement climatique en conclusion de son film « Home[34] ». Il aurait pu ajouter « et agir en conséquence ».

Agir en conséquence semble devoir inévitablement passer par ce virage important, pas un demi-tour non, pas un retour en arrière, mais un virage vers une logique nouvelle, valorisant le bien-être et l’environnement en lieu et place de la production et de l’échange de biens et services. Nous avons tout à y gagner.

A Jean Gadrey de conclure : « La perspective de bien vivre dans une société solidaire est-elle moins enthousiasmante pour la plupart des gens que celle qui leur a été offerte ces dernières décennies d’accumuler toujours davantage de biens matériels ? 27 ». Posons-nous la question.

[1]La croissance doit être distinguée de l’inflation : un médecin augmente sa consultation de 5 euros, est-ce parce qu’il soigne mieux ou passe plus de temps avec ses patients, ou est-ce juste pour gagner plus à la fin de la journée ? Distinguer ce qui relève de l’inflation de ce qui constitue une réelle « croissance en volume », représentant une hausse de qualité ou quantité constitue une première difficulté à la mesure de la croissance.

[2] Au quatrième trimestre 2013, le PIB progresse de 0,3 %, ce qui porte sa croissance sur l’ensemble de l’année à +0,3 %, INSEE, 2014, voir http://www.insee.fr/fr/themes/info-…

[3]Pierre Bourdieu, Intervention à la Conférence générale des travailleurs grecs, Athènes, 1996, in Contre Feux, raisons d’agir, 16ème édition, 2012, 125 p.

[4]Ibid.

[5]Les Nouveaux Chiens de garde, Liber-Raisons d’agir, novembre 2005, 160 p

[6]Les Chiens de garde, Rieder, Paris, 1932

[7]Les Nouveaux Chiens de Garde (film), Gilles Balbastre et Yannick Kergoat (2012)

[8]Limits to Growth (1972).Donella H. Meadows, Dennis L. Meadows, Jorgen Randers and William W. Behrens III, (1972)

[9]Voir DERNIÈRE ALERTE 40 ans après les limites à la croissance, Arte, 2013

[10] Depuis 1958, plus de 13 millions de barils de pétrole, soit 2 milliards de litres, ont été déversés dans le Golfe du Niger. Golfe du Niger : l’autre marée noire, Porcher T., L’express, juillet 2010

[11]Domergue M, Le retour de la rareté, Alternatives Economiques, hors-série n°97, 3ème trimestre 2013.

[12] Williams, 2002 ; Les forêts et l’évolution du monde moderne, FAO, 2010

[13]The Last Stand of the Orangutan, PNUE, 2007

[14]Le secteur agricole ponctionne 84% de l’eau douce en Afrique, 88% en Asie du Sud et 81% en Asie du Sud Est et Océanie. Domergue M., Le retour de la rareté, Alternatives Economiques, hors-série n°97, 3ème trimestre 2013

[15]Gorz A., Ecologie et Politique, Galilée, 1975

[16]Legay S., Le retour d’une société de rentiers, Alternatives Economiques, hors-série n°97, 3ème trimestre 2013

[17]Workplace Heterogeneity and the rise of West Germany Wage Inequality Card, Heining J., Kline P., in Alternatives Economiques, hors-série n°97, 3èmetrimestre 2013

[18]Buissoi J., Près d’un Indien sur trois vit sous le seuil de pauvreté, Le Monde, Mars 2012

[19]Fiquet B., Inde : Une croissance sans développement, Novembre 2013

[20]Interview parue dans Alternatives Economiques, hors-série n°97, 3ème trimestre 2013

[21]L’an 01, film réalisé par Jacques Doillon, Gébé, Alain Resnais et Jean Rouch, 1973

[22]Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Gadrey J., Les petits matins, 2010

[23]Méda D., Faire bonne mesure, in Alternatives Economiques, hors-série n°97, 3ème trimestre 2013 ; INSEE 2013

[24]Grimault J., Ce que le PIB ne dit pas de la France, in Alternatives Economiques, hors-série n°97, 3ème trimestre 2013 ; INSEE 2013

[25]Voir http://www.idies.org/index.php?post…

[26]Thiry G., Indicateurs alternatifs au PIB. Au-delà des nombres. L’Epargne nette ajustée en questions, Emulations n°8, 2010

[27]Vers une économie circulaire, Fondation britannique Ellen Mac Arthur, janvier 2012

[28]Vers une croissance verte : suivre les progrès. Les indicateurs de l’OCDE, OCDE, 2012

[29] Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable, Tim Jackson

Ed. De Boeck, 2010, 250 p.

[30]Entretien réalisé dans Alternatives Economiques n°323, avril 2013

[31]Kempf H., Pour sauver la planète, sortez du capitalisme ; Coll. L’histoire immédiate, éd. du Seuil, 2009, 154 p.

[32]Voir « Il faut mettre fin à la course à la productivité », entretien réalisé dans Alternatives Economiques, hors-série n°97, 3ème trimestre 2013

[33]Manifeste NégaWatt. Réussir la Transition écologique, coll. Domaine du possible, Actes Sud, 2012

[34]Home,écrit et réalisé par Yann Arthus-Bertrand, produit par Luc Besson 2009

 

 

 

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