
Professions réglementées : bonne logique, injuste réforme
Les déréglementations mises en oeuvre ont le mérite de favoriser la concurrence. Mais elles sont partielles, politiquement partiales et, à ce double titre, injustes.
Si la réforme des professions réglementées semble économiquement bonne, elle trahit le choix du gouvernement de préserver les privilèges d’un clan électoral au détriment d’un autre.
Quand Jacques Attali avait remis son rapport de 316 décisions au président Sarkozy en 2008, celui-ci avait marqué quelques rares réserves : l’une d’elles portait sur l’ouverture à la concurrence du secteur des pharmacies.
Qu’Arnaud Montebourg ait entrepris de le viser directement n’est probablement pas dénué de toute considération politique : il est plus facile de s’attaquer à une profession qui, a priori, n’est pas réputée pour son vote favorable à la gauche… Ce choix fait peser sur l’action du gouvernement un soupçon de partialité qui affaiblit considérablement son ambition : au prétexte de la simplification, fondée économiquement, cette réforme partielle en devient injuste et sa méthode contre-productive.
C’est une des patates chaudes qu’Arnaud Montebourg a laissée à Emmanuel Macron.
Avec un sens consommé de l’art du suspense, le gouvernement a fait de la réforme des professions réglementées le feuilleton de l’été. La lecture de la presse a du faire s’étrangler plus d’un notable sur les plages en août. Les propositions du désormais fameux rapport de l’Inspection des finances filtrent au compte-gouttes : longtemps mieux caché que bien des secrets de la République, le document fait désormais l’objet de fuites savamment orchestrées.
Avocats, médecins, ambulanciers… En tout, ce sont 37 professions dites « réglementées » qui sont dans le collimateur de Bercy. Parmi ces 37, on retrouve des professions très diverses allant du charcutier au chauffeur de taxi.
Selon le site du Pôle emploi, les professions réglementées sont toutes celles « dont l’exercice est subordonné à la possession d’un diplôme ou à une condition formelle de qualification ». Cette qualification offre à ceux qui la détiennent une forme de monopole que dénonce aujourd’hui le gouvernement.
Quelles sont ces professions réglementées ?
Les professions réglementées regroupent diverses catégories de métier :
– Les professions juridiques (avocats, notaires, huissiers et greffiers)
– Les professions commerciales et artisanales qui regroupent aussi bien les services à la personne que l’alimentation (réparateurs, vendeurs, menuisiers coiffeurs, opticiens, boulangers, charcutiers, agents immobiliers…)
– Les professions médicales (infirmiers, pharmaciens, vétérinaires, sages-femmes, kinés, médecins, diététiciens, chirurgien-dentiste, orthophonistes, psychologues, ambulanciers…)
– Les professions libérales (architectes, experts-comptables…)
Toutes les professions réglementées sont recensées sur le site du centre international d’études pédagogique. En France, elles sont près d’une centaine.
Pourquoi sont-elles visées par une réforme ?
Aujourd’hui, ces professions bénéficient d’un statut de monopole. Concrètement, cela veut dire que les personnes qui les exercent ne sont pas soumises au même type de concurrence que les autres professions. Le quotidien les Echos cite ainsi en exemple les notaires qui jouissent du monopole de la rédaction des actes immobiliers. Second exemple avec les huissiers qui détiennent quant à eux le monopole de signifier et d’exécuter les décisions rendues par les tribunaux. Quant aux greffiers, ils bénéficient du monopole sur les actes de procédure des tribunaux de commerce. Le monopole des pharmacies est également remis en question. La vente des médicaments sans prescription pourrait ainsi être autorisée dans d’autres officines. En autorisant la vente de tests de grossesses dans les supermarchés, le gouvernement avait déjà entrepris de faire évoluer le privilège des pharmacies.
En s’appuyant sur le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) qui préconise de réformer ces professions, Arnaud Montebourg comptait mettre fin à ces monopoles en faisant baisser les tarifs de leurs prestations jusqu’à 20%. Actuellement, sur 100 euros versés par le consommateur, les greffiers réalisent un bénéfice de 44 euros, 43 pour les huissiers et 37 euros pour les notaires alors que la moyenne nationale est de huit euros. Selon ce rapport, leur monopole aurait permis d’augmenter leurs bénéfices de 46% entre 2000 et 2010.
Dans un discours jeudi dernier, le ministre de l’Economie affirmait qu’une telle baisse permettrait de dégager près de 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat pour les ménages.
Une bonne réforme vouée à l’échec
Dans un système économique marqué par la complexité sclérosante, la logique suivie par le gouvernement est économiquement bonne : les professions réglementées profitent, de fait, de protections qui limitent la concurrence et, par conséquent, coûtent cher aux consommateurs, étouffent l’innovation et contraignent la création d’emplois (120.000, selon l’IGF). Ceux qui les pratiquent sont certainement dévoués, mais limiter arbitrairement la quantité de licences de taxi, le nombre d’officines ou de diplômés en médecine a le même effet : une raréfaction de l’offre et donc une inflation des prix. La qualité des prestations n’est pas en cause : le consommateur sait faire la différence entre les « bons » et les « mauvais » professionnels.
La réforme des professions réglementées n’est cependant pas juste et, de ce fait, vouée à l’échec. En ce sens, elle est le reflet d’une mauvaise pédagogie de la réforme, car elle est partielle et partiale. La France est une société figée, organisée autour de statuts qui sont d’autant mieux défendus par leurs détenteurs qu’ils sont très difficiles à acquérir. La fonction principale du système scolaire est ainsi de trier parmi les jeunes, depuis la classe du CP jusqu’à l’entrée dans l’emploi. La sélection est drastique, marquée socialement, et ne tolère aucun droit à l’erreur (seuls 9 % des élèves qui redoublent leur CP ont le bac). Le marché du travail est organisé de façon semblable : le graal du CDI offre de nombreuses garanties et un salaire minimum élevé, mais tous ceux qui ne répondent pas aux qualifications de rentabilité (nécessairement élevées dans ces conditions) en sont exclus (le taux de chômage des jeunes est supérieur à 15 % depuis trente-cinq ans en France).
Le rôle de l’Etat providence a longtemps été de rendre ces exclusions massives acceptables, à coups d’allocations généreuses. Sa déliquescence, suscitée par son incapacité à s’adapter au monde moderne, a laissé les plus fragiles sur le bord de la route. Les autres se sont faits les défenseurs du statu quo. Comment leur en vouloir ? Dans une société figée, celui qui bouge et perd les bénéfices de sa situation ne retrouve aucune opportunité de mobilité.
Les pharmaciens, les médecins, les taxis et tous les autres le savent bien. Ils l’acceptent d’autant plus mal que, depuis qu’il a été élu, François Hollande n’a rien fait pour les convaincre. La politique suivie depuis deux ans n’a eu de cesse de les contraindre. Ecrasés par le fardeau fiscal qui pèse toujours plus lourd sur leurs épaules, ils craignent d’être maintenant balayés par la réforme réglementaire. Dans le même temps, la fonction publique, réputée plus favorable au gouvernement, a été préservée ; à peine maîtrisée (le déficit sera supérieur à 4 % en 2014, selon Moody’s), la dépense publique reste marquée par de nombreuses inefficacités.
Quand il ne s’en prend qu’à quelques places fortes, au lieu de faire tomber l’ensemble du système économique féodal français, le gouvernement ne fait pas le choix de la réforme, il fait le choix de préserver les privilèges d’un clan électoral au détriment d’un autre. Les déréglementations mises en œuvre ont l’excellent mérite de favoriser la concurrence, mais elles sont partielles, politiquement partiales et, à ce double titre, injustes. Pour être équitable, la simplicité devrait être la règle commune, la réforme devrait mettre toute la France en mouvement.
Mais quels sont ces métiers auxquels veut s’attaquer Bercy ? Et combien gagnent-il vraiment ? Réponse en infographie.
Source Les Echos