Si on arrive à survivre, le problème, sera de comprendre si les couples, avec ou sans enfants, les femmes et les hommes seuls, résisteront à l’enfermement dans leur maison, s’ils réussiront à rester ensemble, à jouir encore de la compagnie réciproque ou de la solitude choisie, après une convivance forcée et ininterrompue d’un mois entier.
Si nous ne pouvons sortir pour faire une promenade, mais seulement avec ceux qui vivent déjà avec nous, pas d’amis ou d’amies, pas même de visites à des parents qui vivent dans d’autres maisons. Seule la famille proche, ou personne si nous sommes seuls. Pas de cinémas, pas de théâtres, pas de concerts, musées, restaurants, bureaux, écoles, universités. Seul un membre de la famille pourra aller faire les courses. Devant les supermarchés, il y aura des queues silencieuses de gens portant le masque, chaque personne devra être à 1 mètre de distance d’une autre, qui attendra la sortie de quelqu’un pour pouvoir entrer à son tour. Même chose devant les pharmacies. Dans la rue, on devra faire un écart quand on croise un autre passant.
Est arrivé le moment de la vérité, pour les couples qui ne se supportent pas, pour ceux qui disent s’aimer, ceux qui vivent ensemble depuis une vie entière, ceux qui s’aiment depuis peu de temps, ceux qui ont choisi de vivre seuls par goût de la liberté ou parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix, pour les enfants qui n’ont plus école, pour les jeunes qui se désirent mais ne peuvent pas se rencontrer…
Je nommerais cela une épreuve de vérité. Ces jours-ci, ce qui gagne, c’est aussi la vie virtuelle, étant donné que nous ne pouvons pas nous toucher. Les films à la télé, les séries, Netflix, Amazon, Google… Nous passerons encore plus d’heures devant nos ordinateurs, ou la tête penchée sur nos portables.
Mais de temps en temps, on saturera, on n’en pourra plus de ça, on lèvera la tête et on découvrira plein de choses. Le fils qu’on pensait être encore un enfant est devenu un jeune homme, et on ne s’en était pas aperçu ; il nous dit, en souriant : «Maintenant, t’es bien obligée de rester avec nous, hein ?»
On fera frénétiquement le ménage dans les maisons, on nettoiera le frigo, on mettra en ordre les livres – puis on fera une pause, et on remarquera que dans la cour le cerisier est en fleurs, on restera une demi-heure à le regarder et on aura l’impression qu’on ne l’avait jamais vu.
On enverra de façon compulsive des messages pour ne pas se sentir seul, et un coup de fil peut durer une demi-heure, comme lorsqu’on était jeunes et que les temps n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, qu’on faisait l’amour au téléphone.
Il arrivera aussi qu’un ami te dise : «Peut-être demain on peut faire une promenade ensemble, en se tenant à distance, qu’est-ce que tu en penses ?» Et l’idée te fera venir un frisson de plaisir interdit.
Nous vivrons de façon différente des moments de notre vie de toujours.