Maxime Thory est l’auteur de l’essai politique « Les jeunes meurent toujours les premiers » (avril 2016), qui prône une confiance nouvelle accordée à la jeunesse française. Diplômé de Sciences Po Paris et la Sorbonne, il est également conseiller municipal délégué au numérique au sein de la ville de Montmorency (Val-d’Oise).
Lettre ouverte en réponse à l’ouvrage de Maxime Thory : « Les jeunes meurent toujours les premiers », chez EDILIVRE
par Daniel Manceaux (1)
» Cher Maxime,
Je me permets de te tutoyer. Surtout, n’y vois pas là une forme de condescendance qu’un sénior pourrait avoir vis-à-vis d’un plus jeune. Ce tutoiement est celui d’un collègue de la représentation municipale et ceci d’autant plus que nous fûmes durant un temps dans le même groupe majoritaire. Certes, depuis, nos chemins ont divergé suite au vote retirant leur délégation à deux de nos collègues.
J’ai lu ton essai « Les jeunes meurent toujours les premiers ». Je l’ai lu d’une seule traite, ce qui est rare chez moi. Il m’a particulièrement intéressé. Cet écrit est sincère, lucide, documenté et courageux.
Comme j’ai eu plaisir à le lire, je souhaite t’offrir en retour les quelques réflexions qu’il m’a inspiré. Il ne s’agit pas d’une reprise point par point de ton argumentaire mais d’idées jetées sur le papier après lecture.
Pour commencer, disons que je partage avec toi le constat que tu fais de la situation des jeunes en France.
- La difficulté à rentrer dans le monde du travail, les stages bidon, la précarité.
- La difficulté à se loger.
- Parfois la difficulté à se soigner.
- Le futur hypothéqué par l’énorme dette accumulée par les gouvernements qui se sont succédé depuis 1975.
- L’obligation de plus en plus fréquente d’avoir recours à l’exil pour trouver un emploi à sa mesure.
Cette situation, dis-tu, est d’autant plus injuste que la jeune génération est mieux formée, plus instruite. J’ai d’ailleurs pu vérifier cette réalité durant mon activité professionnelle. Les stagiaires que j’ai rencontrés m’ont souvent émerveillé par leurs connaissances. Mais attention, nous parlons là de jeunes ayant fait des études supérieures. N’oublions pas ceux qui n’ont pas pu prendre le train des savoirs. Certains sont incapables nous dit-on, de comprendre un texte simple. L’échec de notre système éducatif ne doit en aucun cas les conduire à l’exclusion, signifiant abject et inhumain. Il s’agit là d’un défi majeur pour notre société.
Il ne peut pas, il ne doit pas y avoir de clivage entre ceux qui se vivraient comme une élite et ceux moins instruits qui seraient relégués. Tout comme, tu sembles d’ailleurs l’affirmer dans ton essai, il ne peut pas y avoir de clivage entre les jeunes qui seraient sacrifiés et les séniors qui seraient possédants. De nombreux retraités sont en difficulté financière et cela risque de s’aggraver. Même des pensions pouvant être considérées comme correctes ne permettent pas toujours de financer la dépendance s’il y a lieu.
Il faut constamment être attentif à ce que le lien social, position humaniste, ne soit jamais rompu.
Revenons au titre de ton essai « Les jeunes meurent toujours les premiers ». Que l’on puisse qualifier cela d’effroyable, c’est évident mais, selon moi, il en a toujours été ainsi.
Tu as choisi pour illustrer la première de couverture de ton livre une représentation du tableau de Peter Paul Rubens « Saturne dévorant ses enfants ». Cette mythologie est bien connue, que ce soit le romain Saturne ou le grec Cronos, le fait que le Père/Pouvoir puisse dévorer ses enfants est universel, intemporel. Ce fantasme est profondément ancré dans l’inconscient collectif de l’humanité.
Il n’y a pas que le fantasme, il y a la réalité. De tout temps, le Pouvoir avec les guerres, a entraîné dans la mort des millions de jeunes hommes. Aujourd’hui, en Europe, en temps de paix, le sacrifice semble s’être déplacé sur le terrain social.
Pour être objectif, il est vrai que ma génération, née après 1945 donc qui n’a pas participé à la guerre d’Algérie, a été particulièrement favorisée par des circonstances historiques exceptionnelles.
Cependant, je n’accepte pas le procès en sorcellerie que certains nous font. La « génération 68 » a peut-être dit des inepties mais elle n’a rien volé à personne. Par contre, si l’on parle de la classe politique issue de cette génération, elle s’accroche au pouvoir simplement comme les politiques l’ont toujours fait.
En ce domaine, il n’y aurait que trois préoccupations majeures :
- Comment accéder au pouvoir.
- Comment enfler ce pouvoir par le biais de cumuls, de présidences, de vice-présidences……
- Comment garder ce pouvoir.
Comme tu le sais, le pouvoir ne s’est jamais donné. Il se prend.
Dans la dernière partie de ton ouvrage, tu fais dix propositions sensées améliorer le sort de la jeunesse quant à l’accession au travail et au pouvoir.
Je n’ai pas de compétences techniques pour les commenter. Si certaines me paraissent de bon sens, d’autres sont selon moi plus contestables comme par exemple l’instauration de quotas de jeunes en politique. Il est temps d’arrêter de rigidifier la société sous un carcan législatif. La rigidité casse, la véritable force vient de la souplesse.
Bien sûr, il est souhaitable que le chômage baisse (pour tout le monde) tout comme il est souhaitable que les jeunes soient plus nombreux à des postes de responsabilité en politique. C’est dans la logique de la représentativité en démocratie.
Ceci dit, je ne me fais aucune illusion, cela n’entraînera aucun changement fondamental. Les jeunes au pouvoir ne pratiqueront pas différemment. On nous a répété à l’infini : « les femmes en politique feront de la politique autrement. » On constate bien entendu qu’il n’en est rien.
J’ose une explication. Le pouvoir en place est par essence terrifié à l’idée d’être dépossédé. Au passage, j’ai une petite pensée pour Uranus. Alors on s’accroche, c’est vital. Ce pouvoir ne peut être pris que par le meurtre symbolique de celui qui le détient. C’est précisément à ce moment- là que commence l’infernale répétition. Certes, on a dépossédé l’autre de ses attributs mais en même temps dans la rivalité, on admirait profondément la puissance de celui-ci. Il s’opère alors une identification à celui qu’on a vaincu. Globalement, on agit donc comme lui, avec sa touche personnelle mais de façon fondamentalement identique.
La vraie question serait : comment sortir de cette logique un peu archaïque? Comment modifier ce cadre qui engendre toujours plus de la même chose? Comment faire pour que le pouvoir qu’il soit détenu par des jeunes, des vieux, des femmes ou des hommes soit au service de l’intérêt commun et du lien social et non au service d’un EGO et de la division ?
Bien qu’il s’agisse d’une certaine idée de la démocratie, j’avoue que la problématique est complexe car humaine.
Aussi, j’ai envie de clore cette lettre sur une question plus légère et plus personnelle.
Tu cites un proverbe afghan : « Donne un cheval à celui qui dit la vérité car il en aura besoin pour s’enfuir ».
As-tu sellé ce cheval et si oui, pour prendre quelle direction ?
Je te souhaite une bonne route.
Avec toute ma sympathie.
A bientôt dans la vie Montmorencéenne.
Daniel Manceaux «
(1) Daniel Manceaux est conseiller municipal à Montmorency/
INTERVIEW DE MAXIME THORY
Résumé de l’ouvrage :
“La France sacrifie sa jeunesse avec une violence inouïe. Endettés dès leur mise au monde, désavantagés par un marché du travail qui protège tout le monde sauf eux, forcés à l’exil, les jeunes n’ont jamais été aussi défavorisés. Cette injustice intergénérationnelle n’emprunte pourtant rien au hasard. La jeunesse est devenue un fantôme politique : elle n’est ni représentée ni entendue. Cet essai tente de montrer, sans concession aucune, comment une génération vieillissante de responsables politiques et syndicaux a confisqué le pouvoir en France depuis des décennies.
Écrit par un jeune élu, ce livre est un plaidoyer passionné pour la jeunesse de France. Il s’adresse aux jeunes, évidemment, mais aussi à tous ceux qui n’acceptent plus l’avenir préparé pour leurs enfants et petits-enfants.”